La série se décompose en 6 cartes postales, réalisées par la maison d’édition V. Porcher de Paris. Elle s’intitule « L’étudiant et sa Lisette » et pourrait être l’œuvre d’Eugène Atget, l’un des pères de la photographie moderne, qui a travaillé pour cette maison d’édition dès la fin du XIXè siècle. Ces cartes postales ont été mises sur le marché au mois de Janvier 1904, pour leur tirage initial. Le cliché, quant à lui, doit être légèrement plus ancien, mais ne saurait être antérieur à 1890. Le plus probable est qu’il ait été pris dans les mois qui précèdent leur mise en vente, en 1903.

La série met en scène un jeune homme, en train d’étudier, accompagné d’une jeune femme. Le décor est sobre : hormis une horloge comtoise et quelques bibelots accrochés au mur, seules une table, une chaise et une fenêtre qu’on devine composent les photos. Après avoir longtemps travaillé, il obtient son doctorat. Peu de temps après, il reçoit un courrier de ses parents, et fait ses adieux à sa bonne amie. Vraisemblablement, la scène se déroule dans l’appartement de la jeune fille.

Le prénom Lisette est un diminutif de Louise. « Lisette, Bernerette, Rigolette, Musette, Nanette sont autant de grisettes qui furent les héroïnes de chansons ou de romans, souvent de romances [au milieu du XIXè siècle.]» explique Henri Monnier. On peut ajouter à cette liste Jeanneton ou encore Huguette que connaissent bien les étudiants ; il existe d’ailleurs une version de la célèbre chanson « La petite Huguette » appelée « La petite Lisette ».

À Paris et dans les grandes villes, ces grisettes sont des femmes jeunes, indépendantes financièrement grâce à leur profession de couturières, modistes ou femmes de ménage et libérées sexuellement. C’est donc tout naturellement qu’elles se lient avec des hommes partageant ces 3 traits : les étudiants, dont les familles habitent généralement loin. Ce phénomène est si courant que des dictionnaires du milieu du XIXè siècle vont définir l’étudiante comme étant la compagne de l’étudiant, et en faire un synonyme de grisette. Si elles sont alors considérées comme des libertines voire des prostituées, elles sont devenues en 1903 l’une des figures du badinage et de la séduction parisienne de la Belle Époque si bien que pour certains auteurs, cette indépendance financière, et cette liberté sexuelle assumée font d’elles des précurseurs du féminisme.

Dans son conte « Mademoiselle Mimi Pinson », écrit en 1845, Alfred de Musset raconte l’histoire de l’une d’entre elles, et fait chanter son héroïne :

Les carabins, matin et soir,
Usent les manches de leurs vestes,
Landerirette !
A son comptoir.
Quoique sans maltraiter personne,
Mimi leur fait mieux la leçon
Qu’à la Sorbonne.
Il ne faut pas qu’on la chiffonne,
La robe de Mimi Pinson.

Ainsi, Mimi, Lisette, ou encore Huguette sont très proches des milieux universitaires. Elles jouent auprès de l’Étudiant qui l'entretient partiellement le rôle d'une épouse temporaire, comme le suggère la troisième vignette « Comment trouves-tu mon petit déjeuner ? ». L’amour de l’Étudiant pour Lisette n'a qu'un temps et cette dernière le sait. Dans la vignette suivante, on peut voir le contraste de leurs regards : lui est heureux d’être enfin diplômé, alors qu’elle semble effrayée, comme si le moment tant redouté de leur séparation était arrivé. « Reçu Docteur », il va retourner se marier dans son milieu d'origine et trouver un travail : « Une lettre de mes parents, Obligé de partir ». Même s’il la quitte, l’affection de l’Étudiant pour Lisette est pourtant bien réelle : « Ma bonne Lisette, je ne t’oublierais pas ». Et il est commun qu’au moment de retourner vers sa famille, il confie sa Lisette aux bons soins d’un ami, en espérant ainsi qu’elle puisse vivre heureuse.

Il faut aussi noter la présence d’une Faluche sur les 4 premières vignettes. Existant depuis la fin des années 1880, celle qui n’a pas encore de nom et qu’on appelle alors simplement le béret, n’a qu’une quinzaine d’années au moment où sont publiées ces cartes postales. Toutefois, elle est déjà bien implantée dans l’iconographie française et dès 1889, des artistes tels que Jean Béraud, spécialiste de la vie parisienne, représentent les étudiants coiffés de leur béret. En 1903, la Faluche est déjà connue et reconnue comme étant l’un des attributs de l’Étudiant. C’est donc tout naturellement que celui-ci la porte dans la première partie de la série. A ce moment, il est encore à l’Université. Mais sur la quatrième vignette, elle tombe symboliquement de sa tête, sur la table, au moment où il obtient son diplôme avant de disparaître progressivement des deux dernières.

Au final, Faluche et Lisette ont le même destin : toutes les deux ne sont là que pour le temps des études. Alors que le Docteur entre dans la vie active, il abandonne sa Faluche pour le chapeau de bourgeois, tout comme Lisette est obligée de s’effacer pour qu’il puisse trouver celle qui partagera sa vie.

Sources : Wikipédia (Grisette, Carte Postale, Eugène Atget) – Henry Monnier, Les Grisettes, Paris, Bibliothèque nationale de France, Smith Lesouef, R-3217, pl. 6 – Journal Officiel du 30/11/1903 – Agnès Giard, Blog des 400 culs, Libération, La grisette, ancêtre des féministes ? – Jean Béraud, Brasserie d’étudiants (1889) – Xavier Hubaut, Chansons paillardes de France et d’ailleurs
Remerciements : Commandant RoSWeLL, Pierre Blaignon-Perbet et Céline GM pour leur relecture et leurs remarques constructives.

Quand donc aurais-je mon diplôme ? Tu travailles donc toujours mon chéri ? Comment trouves-tu mon petit déjeuner ? Enfin, reçu Docteur ! C'est une lettre de mes parents ; Obligé de partir. Ma bonne Lisette, je ne t'oublierai pas.